Tribune pour un ministère de la condition animale

Le Monde (site web) 


idees, jeudi 24 mars 2022 - 06:45 UTC +0100 



« Un ministère de la condition animale doit voir le jour lors du prochain mandat présidentiel »


Collectif


Le temps est venu d’amorcer un véritable changement dans la nature des relations que notre société entretient avec les animaux, estiment des historiens, des philosophes et d’autres chercheurs dans une tribune au « Monde ». 




Tribune. En quelques décennies, la « question animale » est devenue un champ de recherches académiques reconnu. Comprenant un large ensemble de disciplines – philosophie, histoire, droit, économie, anthropologie, sociologie, sémiologie –, il tend à s’autonomiser pour constituer un nouveau domaine que désigne l’intitulé « études animales ». La dimension réflexive et critique y est centrale.


S’il revient à la philosophie d’ouvrir la voie d’une pensée critique, sa tâche consistant à s’étonner devant le monde et à considérer que rien n’y va de soi, elle aura probablement aidé les autres disciplines à lui emboîter le pas. Mais ce sont aussi les sciences, l’éthologie et la psychologie animale, la naissance de la psychiatrie animale, du moins certains de leurs représentants, qui fournissent un éclairage plus direct encore sur la complexité et la vulnérabilité affective des vies animales. 


Publication d’ouvrages et d’articles de fond dans des revues universitaires ; projets de recherche développés notamment au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; financement de programmes collectifs par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ; constitution d’un réseau international et pluridisciplinaire de recherche (Minding Animals) ; cours dispensés à l’université ; masters et thèses de doctorat ; thème de « l’animal » mis au programme du concours de l’agrégation externe de philosophie (2012), du concours d’entrée dans les grandes écoles de commerce (2021), du concours de lettres à l’Ecole normale supérieure (2022) ; épreuves du baccalauréat comportant quatre textes classiques à commenter (Montaigne, Rousseau, Voltaire et Yourcenar) qui, tous, soulevaient les problèmes posés par la violence de nos rapports envers les animaux (2018) ; entrée de la thématique « l’homme et l’animal » dans l’enseignement des humanités, littérature et philosophie en classe de 1re (rentrée 2020)… 


Enfin, à la faveur de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale, l’éducation civique (au primaire, au collège et au lycée) comportera, dès la rentrée 2022, un enseignement portant sur le « respect des animaux ». Tous ces éléments démontrent que les institutions publiques d’enseignement et de recherche ont pris la mesure de l’importance de mener une réflexion de fond sur la nature des relations que notre société entretient avec les animaux. 


En effet, un nombre croissant d’entre eux subit, en toute licéité, les pires traitements, qui sont de plus en plus difficiles à justifier, du point de vue tant de leurs bénéfices pour les êtres humains que des dommages intentés aux êtres sentients. C’est en raison de cette violence qu’une réflexion s’intensifie et discute les fondements de la réification des animaux. 


Lent progrès de la civilisation 


Comme dans maints domaines, la pensée évolue, les représentations changent. Ce qui paraissait juste, voire naturel, hier est devenu injuste et inacceptable. Ainsi va le progrès, lent et fragile, de la civilisation. Songeons, par exemple, à l’interdiction faite aux femmes de voter, aux différences de salaire entre hommes et femmes à travail égal, au statut des enfants nés hors mariage, à la pénalisation de l’homosexualité, à la torture et à la peine de mort, etc. Le temps est venu d’adjoindre aux disputes théoriques, qui nourrissent la passion de penser, l’amorce d’un véritable changement de régime concernant nos rapports aux animaux. 


C’est sous l’impulsion de recherches suffisamment fournies, articulées et validées par les pairs et sous celle, conjointe, d’une réévaluation des valeurs communes à une société que des ministères spécifiques furent créés : celui de l’écologie, maintenant nommé « de la transition écologique et solidaire », ou celui chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Ainsi pensons-nous qu’un ministère de la condition animale doit voir le jour lors du prochain mandat présidentiel. Non que nous ayons la naïveté de croire que l’existence d’un ministère résoudrait tous les problèmes, mais il ferait écho à un domaine de recherche qui identifie, examine les problèmes et propose des solutions. Il constituerait un interlocuteur précieux pour les organisations de défense des animaux. 


Premiers signataires : Eric Baratay, professeur d’histoire à l’université Lyon-III ; Etienne Bimbenet, enseignant-chercheur à l’université Bordeaux-Montaigne ; Pierre Brunet, professeur de droit à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Florence Burgat, philosophe, directrice de recherche à l’Inrae, affectée à’ lENS ; Angelo Giavatto, maître de conférence en philosophie à l’université de Nantes ; Grégory Moreau, maître de conférences en sciences physiques à l’université Paris-Saclay Evry-Val d’Essonne ; Julie Saada, philosophe à l’Institut d’études politiques de Paris ; Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS-Sciences Po-Cevipof. 


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