Présidentielle : les voix animalistes sortent de la niche

Libération


Cause animale


Présidentielle : les voix animalistes sortent de la niche


Depuis l’apparition du vote proanimaux, tous les partis lorgnent cet électorat. Mais à une centaine de jours du premier tour, seuls trois candidats peuvent caresser l’espoir de le séduire.


Sarah Finger, correspondante à Montpellier, article publié le 5 janvier 2022 à 20h24


« A la dernière présidentielle, j’ai voté pour la meilleure proposition en matière de défense animale, à savoir celle de Mélenchon. Je suis loin d’être séduit par le personnage mais j’ai mis un mouchoir sur son dogmatisme et son arrogance. En 2022, je voterai en fonction de cette même priorité. » Ce sexagénaire, cadre de la fonction publique, ne fait pas figure d’exception. Les animalistes de tout poil – activistes, militants ou sympathisants – comptent bien faire entendre la cause des « sans voix » à la prochaine présidentielle. Mais combien sont-ils ?


Les 490 000 voix récoltées lors des élections européennes de mai 2019 par le Parti animaliste (PA) ne donnent qu’une indication de l’ampleur de cet électorat. « Lors de ce scrutin, nous n’avions bénéficié d’aucune médiatisation, se souvient Hélène Thouy, cofondatrice du PA et candidate à l’élection présidentielle de 2022. De plus, environ 500 problèmes liés à la bonne diffusion de nos bulletins de vote nous ont été signalés. Ainsi dans l’Hérault, seule une trentaine de communes sur 343 disposait de nos bulletins. Le PA aurait pu donc faire beaucoup mieux. »


« Barbecue merguez »


Depuis, la donne a changé : le score obtenu alors par le PA (2,2%) lui a offert une visibilité médiatique quasi inespérée. « Les trois quarts des animalistes comptent voter pour le PA, qui n’est orienté ni à gauche ni à droite, estime Amandine Sanvisens, cofondatrice de l’association Paris Animaux Zoopolis (PAZ) et militante active pour la cause animale. Les autres s’investissent chez les Verts ou La France insoumise et portent la question de la condition animale au sein de leur parti. » Mais au-delà des convaincus, le PA pourrait attirer plus largement des électeurs révoltés par les scandales à répétition médiatisés par L214, et déprimés par les divisions et tâtonnements de la gauche. Comme le résume Axelle, une jeune activiste antispéciste, « voter Hélène Thouy, c’est aussi symbolique. C’est l’opportunité de s’exprimer sans ambiguïté pour une cause clairement identifiée ». Autrement dit, ce vote pragmatique pourrait aussi séduire des abstentionnistes… A condition, bien sûr, que la candidate du PA puisse se présenter : « Nous avançons bien dans la collecte de parrainages, mais le chemin est très long, reconnaît Hélène Thouy. C’est d’autant plus difficile que les instituts de sondage ne nous font pas apparaître lorsqu’ils interrogent les électeurs, ce qui nuit à notre crédibilité. Pourtant un sondage Ifop que nous avons commandé nous créditait en novembre de 2% des intentions de vote, soit le double d’Arnaud Montebourg. »


Si cette candidate doit renoncer à se présenter, elle ne donnera aucune consigne de vote. Vers qui se tournera son électorat ? Rosa B., militante antispéciste, dessinatrice et autrice d’une série intitulée « Insolente Veggie », a posé la question à ses 10 500 abonnés sur Twitter. Parmi ceux qui ont répondu, certains affirment que ce sera « Hélène sinon rien ». D’autres évoquent Philippe Poutou. Mais la plupart déclarent qu’en l’absence du PA, ils voteront pour Jean-Luc Mélenchon ou Yannick Jadot, même si beaucoup ont du mal à digérer la sortie du candidat écologiste concernant son appétit pour le foie gras artisanal, (le 13 décembre sur France Info). D’autant qu’Europe Ecologie-les Verts ne s’est jamais distingué jusqu’ici par l’audace de ses propositions en matière de défense animale : « Que ce soit sur la chasse ou l’agriculture, Jadot fait de la politique politicienne et tente d’être le moins clivant possible. Ça m’étonnerait que les animalistes se précipitent vers lui, estime Amadeus, militant de la cause animale depuis bientôt vingt ans. Si le PA n’est pas présent, certains risquent de s’abstenir, estimant qu’ils s’expriment déjà au travers de leur consommation en tant que végans. Et ils n’oublient pas que les meetings politiques finissent souvent devant un barbecue merguez. »


Terrain miné


Jean-Luc Mélenchon semble apparaître comme le meilleur « plan B » de l’électorat animaliste. Dès 2017, il évoquait la défense animale dans tous ses discours de campagne, récoltant au premier tour les voix de nombreux pro-animaux. « Ces engagements se sont traduits par des actes grâce aux députés insoumis. On a pu constater une vraie cohérence entre les discours de Mélenchon et le travail de ses parlementaires », souligne Melvin Josse, coprésident de Convergence animaux politique (CAP), une structure vouée à mettre en relation associations de défense animale et monde politique. De plus, l’insoumis n’hésite pas à s’aventurer là où ses concurrents ne se risqueraient jamais : « Beaucoup ont noté comme moi que lors de son discours en Guadeloupe sur l’esclavage, en décembre, Jean-Luc Mélenchon a évoqué la question du spécisme », relève Jérôme Segal, enseignant-chercheur et auteur de Dix questions sur l’antispécisme (éditions Libertalia, 2021). « C’était la première reconnaissance explicite en politique des méfaits du spécisme, au même titre que le sexisme et le racisme. »


Mais la personnalité clivante de Jean-Luc Mélenchon refroidit certaines ardeurs. On l’a vu lors des dernières municipales : les quelques alliances locales nouées avec LFI ont froissé plus d’un adhérent du PA. Autre accroc : la corrida. « Contrairement à Jadot, Mélenchon a toujours éludé cette question, refusant même de se prononcer sur l’accès aux arènes des moins de 16 ans », dénonce un activiste anti-corrida.


Comment inciter les candidats les plus tièdes à s’engager sur la question animale ? Début décembre, 28 ONG ont créé une plateforme leur demandant de s’engager sur 22 mesures prioritaires : interdiction de la chasse deux jours par semaine, fin de l’élevage en cage d’ici à 2027, de l’abattage sans étourdissement, de la corrida… CAP, qui orchestre cette initiative, prévoit que les premiers engagements proviendront d’Hélène Thouy, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot. Quant aux autres, ils préféreront chasser ailleurs avant de s’aventurer sur ce terrain miné, où ils devront veiller à ne froisser ni les chasseurs ni les éleveurs. Ménager la chèvre et le chou, c’est tout un art.